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Guerre du M23 : De Karuba à Goma, la COAPAKA reste debout dans son rôle de multiplicateur des semences de la pomme de terre de qualité

L’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) est une zone marquée par des conflits armés récurrents, des crises humanitaires et des défis socio-économiques considérables. Partageant des limites avec deux pays dont le Rwanda et l’Ouganda, la province du Nord-Kivu est l’une des plus touchées par les conflits armés et qui dispose d’une terre arable et plus exploitée. Avec ses six territoires, la province du Nord-Kivu s’est fortement démarquée dans plusieurs cultures. Malgré les adversités liées à l’activisme des groupes armés nationaux et étrangers, les populations locales font preuve d’une résilience remarquable, illustrant une capacité à s’adapter et à survivre dans des conditions souvent extrêmes.

Depuis juin 2022, les rebelles du M23 soutenus, selon le Gouvernent congolais, par les forces de défense du Rwanda (RDF), ont lancé des attaques sur plusieurs localités des territoires de Rutshuru, Nyiragongo, Masisi et aujourd’hui le sud du territoire de Lubero. Très hostiles, les rebelles ont forcé les populations, pourtant avec comme activité principale l’agriculture, à quitter leurs zones pour se diriger vers des entités supposées sécurisées. La plupart de ces habitants ont érigé leurs camps autour de la ville touristique de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu. Pourtant alimentée en termes des produits agricoles par les territoires occupés par l’ennemi, cette immense ville s’est retrouvée en rupture des produits champêtres, et surtout de première nécessité. Avec plus d’un million d’habitants, la ville n’a pas été en mesure de nourrir les locaux et les déplacés. 

Déplacement forcé, mais pas abandon de la terre

Fin décembre 2023, les rebelles du M23 ont largué un obus sur les installations de la Coopérative Agricole Paysanne de Karuba (COAPAKA), situées dans le groupement Mupfunyi-Karuba, dans la chefferie des Bahunde, en territoire de Masisi, au Nord-Kivu. Cet obus de l’ennemi a été dévastateur en l’endroit de cette coopérative agricole. Créée le 18 mai 2015, la COAPAKA a pour mission de résoudre le problème d’accès aux semences de la pomme de terre dans le territoire de Masisi.  Les membres de la coopérative ont dû fuir à Goma, se retrouvant déplacés et sans ressources. Cependant, loin de se laisser abattre par cette tragédie, ces exploitants agricoles ont transformé leur adversité en une opportunité pour rebondir. La cooperative a installé certaines activités au quartier Lac Vert, près du camp de Bulengo, dans la commune de Goma. Animés par l’esprit de « résilience », les responsables de la COAPAKA ont pris en location un terrain d’un particulier d’environ 0,5ha où ils encadrent les coopérateurs vivant autour de la ville de Goma, d’une part et d’autre part dans des familles d’accueil. Là, ils ont relancé leurs activités agricoles avec une détermination inébranlable. Leur choix s’est porté sur la production de semences de pomme de terre, une filière à fort potentiel dans la partie, voir même dans la région des grands-Lacs.

La semence de la pomme de terre produite au quartier Lac Vert, ville de Goma. Ph. @Magloire Tsongo

« (…) Nous menons ici plusieurs activités. Premièrement, nous faisons la pérennisation de l’activité de multiplication de la semence, l’appui et la mise en place des activités génératrices des revenus au profit des femmes coopératrices afin de pouvoir resister à certains chocs sociaux dans leurs menages. Dans le but de rester dans les normes de la production de la semence, la COAPAKA a mis en place une serre ou green house car nous utilisons des vitro plants comme matériel végétal de base », a expliqué Marc Ntasi, Directeur Gérant de la Coopérative.

Et de poursuivre : « La serre que nous avons mise ici a la capacité d’accueillir 12 500 vitro-plants. Depuis la relance de nos activités, nous avons planté 2500 mini-tubercules que nous récoltons actuellement. On va avoir la semence à l’étape de pré-base. En plus, on compte avoir la multiplication rapide de semence avec la méthode cuttings ou bouturage dont les essais ont prouvé sa réussite et son importance dans ce domaine. Car, au lieu de faire 18 mois pour avoir la semence prébase, on fait 6 mois pour en avoir. Ce qui est une bonne chose pour les agriculteurs », a-t-il poursuivi.     

Une relance agricole prometteuse au cœur de Goma

L’ingénieur Emmanuel Sadiki, agronome de la COAPAKA, précise que la production de semences de pomme de terre suit un schéma complexe, impliquant plusieurs étapes cruciales, de l’achat des vitronplats au Rwanda (labotoire) jusqu’à la livraison des semences aux producteurs locaux. Ce processus, qui peut prendre jusqu’à trois ans, est soutenu par des pratiques rigoureuses pour garantir la qualité des produits finis.

Pour répondre aux besoins urgents et de fournir plus de semences, la COAPAKA a exprimé le besoin urgent de la construction d’un « laboratoire agricole » dans la province du Nord-Kivu. Cette infrastructure viserait, selon  Emmanuel Sadiki, à renforcer la production locale de semences et à répondre efficacement aux besoins du marché. Un tel équipement permettrait aussi de développer des capacités locales de production et de contrôle de qualité, ce qui pourra ainsi réduire les besoins en importations de produits agricoles de première nécessité.

Ingénieur Emmanuel Sadiki avec des vitro-plants dans le cuves multipliés par bouturage ou cuttings. C’est dans le green house de la COAPAKA. Ph. @MT

« (…) La chaine de valeur de la semence de la filière de pomme de terre est plus complexe. Nous faisons la commande dans un laboratoire, à partir du Rwanda. Nous amenons des vitro-plants dans notre green house, puis on fait le cuttings, les mini-tubercules, la prébase, la base et puis la semence sera certifiée après deux ans et demi au minimum ou trois ans max. A ce niveau, nous avons des sérieuses difficultés par ce que nous n’avons pas des laboratoires ici au Congo, surtout dans la partie Est. Nous faisons la commande au Rwanda, bien que ce soit un pays qui nous agresse. S’il y a un laboratoire à Goma, nous serons en mesure de produire des tonnes des semences pour nos agriculteurs », a expliqué l’agronome de la coopérative.

La COAPAKA avec ses partenaires, une histoire d’amour

A l’occasion, la Coopérative Agricole Paysane de Karuba a, à haute voix, exprimé sa gratitude envers Agriterra, une organisation qui a apporté un soutien précieux en conseils, informations et financement. « Nous bénéficions de l’accompagnement de l’organisation AGRITERRA qui avait sélectionné quelques coopératives agricoles dans le territoire de Masisi. Nous avons reçu des formations et des informations sur la multiplication de la semence. Cette organisation nous aide à regrouper des agriculteurs ou les producteurs dans un groupe de 20 pour qu’on fasse un suivi permanent », a reconnu Mme Pascasie Balimba Heri, Présidente du conseil d’administration de la COAPAKA.  

Des coopérateurs dans leur champ semencier au quartier Lac Vert. Ph. @MT

Avec ses partenaires, les coopérateurs de Karuba en déplacement développent d’autres stratégies et des recherches pour faire assoir leur politique agricole. Ils adoptent des techniques innovantes pour faire face aux conditions climatiques imprévisibles et aux perturbations causées par les conflits. Ces adaptations incluent l’utilisation de cultures résistantes aux conditions climatiques extrêmes et la mise en place de systèmes d’irrigation plus efficaces. En outre, la PCA de la COAPAKA a annoncé les essais d’introduction des nouvelles variétés de la pomme de terre dans leur zone d’intervention : « Nous allons voir si ces variétés seront favorables dans la zone après une étude approfondie. Nous allons étudier tous les paramètres pouvant permettre l’acceptabilité d’une nouvelle variété dans la zone ».

Dans cette partie du pays, la résilience des membres de la COAPAKA démontre non seulement leur capacité à surmonter les crises, mais aussi leur détermination à contribuer au développement durable de la province du Nord-Kivu. Leur modèle de production de semences de pomme de terre pourrait devenir un « catalyseur important » pour l’économie locale, à condition que les infrastructures nécessaires, telles qu’un laboratoire agricole, soient mises en place pour soutenir cette croissance.

Magloire Tsongo, journaliste environnemental et chercheur en agriculture

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